Kama La Mackerel
Kama La Mackerel (né·e à Pamplemousse, ile Maurice ; vit à Tiohtià:ke / Mooniyang / Montréal, Canada) explore les notions de justice, de bienveillance, d’amour et d’émancipation individuelle et collective dans des œuvres engagées et anticoloniales. Combinant performance, photographie, installation, danse, théâtre, création textile et poétique, sa pratique se destine à guérir les blessures du colonialisme et à multiplier les possibilités d’existence. La Mackerel aborde la pluralité des violences faites aux corps, aux identités et aux cultures marginalisées et les désamorce par l’emploi de pédagogies et de méthodologies queers et trans. En mots, en gestes et en images, iel crée des assemblages aux textures de résilience et de résistance.
Avec l’installation vidéo Your Body Is the Ocean, projet qui s’inscrit dans la série Queering the Is/land Body, La Mackerel fait dialoguer le corps et le sel, cette substance naturelle dont l’océan est gorgé. Projetées sur une surface de sel disposée dans la galerie, des images montrent tour à tour une étendue d’eau, un terrain rocailleux et un corps trans et racisé – celui de l’artiste –, en communion avec un monticule de cristaux blancs. D’abord, une eau étincelante ondoie le long d’un rivage parsemé de pierres. Apparait ensuite la peau satinée d’une nuque, d’un dos et d’une hanche dont on suit la courbe, le halo de ce corps noir contrastant avec l’éclat du sel. À travers des gestes symboliques évoquant à la fois un rituel et une offrande, La Mackerel entre en relation avec cet autre corps, topographie saline, petite montagne éphémère. Ce faisant, iel engage une réflexion plurielle sur la fluidité : celle de l’océan, cette étendue d’eau en constant mouvement ; celle du sel, substance capable de se dissoudre, mais aussi de se cristalliser ; et celle d’un·e zom-fam (homme-femme ou transgenre en kréol mauricien). Au confluent de corps queers et de territoires multiples, La Mackerel incarne ici de manière poétique et critique l’eau salée et les histoires qu’elle porte : les vagues de colonisation qui les ont traversées ; les millions de personnes déracinées, déplacées, exploitées qui ont vogué sur leurs flots ; et celles qui y ont été avalées. L’artiste met en scène un corps-océan imprégné de récits de résistance et de résilience. Iel célèbre les marges, ces espaces situés à l’extérieur de l’écrit ou de l’inscrit, comme l’eau qui circule autour d’une ile ancrée dans l’héritage du colonialisme.
Avec les photographies de la série Queering the Is/land Body, La Mackerel établit un dialogue entre les paysages de son ile natale, l’ile Maurice, et son propre corps queer et fèm. Le lustre des grandes feuilles de nénufar, les mille teintes des étendues sablonneuses et l’ondulation de l’eau frémissante se mêlent à sa peau noire, à sa pilosité et au relief de sa stature. Le projet marque une rupture importante avec les représentations stéréotypées attachées à l’orientalisme tendancieux dont sont l’objet l’ile Maurice et les personnes qui y résident. Catalyseur d’une force spirituelle ancestrale et décoloniale, le corps de l’artiste fait ainsi écho au territoire, à la multiplicité et à l’hybridité qui le caractérisent. Avec ces images, La Mackerel poursuit la discussion entamée avec Breaking the Promise of Tropical Emptiness: Trans Subjectivity in the Postcard, une série photographique où iel se met en scène dans différents lieux touristiques incontournables de l’ile Maurice. Exposant son corps trans, racisé, dans ces paysages luxuriants, iel déconstruit le décor exotique tel que fantasmé par l’imaginaire occidental. Iel renverse le regard colonial posé sur les « paradis tropicaux » et les scripts culturels réducteurs que cette vision véhicule. Queering the Is/land Body puise aux mêmes paysages pour réinsérer le corps queer de l’artiste au sein des lieux qu’iel a dû fuir afin de faire naitre sa transféminité. Dans l’espace entre le corps et le territoire s’énoncent les savoirs spirituels ancestraux et décoloniaux, alors que La Mackerel fait du corps la figure métonymique tout indiquée pour aborder de manière poétique et performative notre relation à la nature.
my body is home / mon corps est l’océan / mo lekor se enn zil
Kama La Mackerel invoque les voix de ses ancêtres indo-africain·e·s ayant été contraint·e·s de traverser les océans pour travailler dans les plantations de canne à sucre de l’ile Maurice ou étant mort·e·s en mer, n’ayant jamais atteint les côtes. Avec ce rituel-performance, La Mackerel honore le sel des personnes qui nous ont précédées et celles à venir.