Anne Duk Hee Jordan
Anne Duk Hee Jordan (née en Corée ; vit à Berlin, Allemagne) articule sa pratique autour des relations enchevêtrées entre les humain⋅e⋅s et les non-humain⋅e⋅s. Fascinée par la vie marine, la technologie, la sexualité, la nutrition et l’écologie, elle élabore des installations où les croisements entre matières organiques et entités robotiques permettent de réfléchir aux enjeux sociopolitiques liés au vivant et au non-vivant. Jordan examine les concepts d’éphémérité et de transformation propres à la biologie dans des œuvres qui, mettant en cause les rapports d’agentivité, déplacent l’accent mis sur les humain⋅e·s vers l’écologie dans son ensemble.
L’installation vidéo Intimacy of Strangers / Intimité de l’inconnu nous plonge dans un futur hybride, entre des univers terrestres et aquatiques, où évoluent côte à côte des amphibiens, des insectes, des bactéries, des champignons, des chaises d’observation et des objets cinétiques. Les murs de la galerie, dont la couleur bleu-vert enveloppante rappelle les fonds océaniques, accueillent les péripéties d’un crabe miniature se camouflant dans un paysage marin ou l’envolée de spores microscopiques s’élevant au travers d’un tapis de feuilles mortes. On assiste à des scènes de cohabitation complexe entre différentes espèces – à des scènes où vivre ensemble signifie aussi parfois mourir ensemble. Sur le sol, devant les écrans, des créatures étranges – vestiges de l’Anthropocène – se déplacent discrètement, leurs mouvements étant à peine visibles. Là, comme si elle s’éveillait d’un long sommeil, une théière remue doucement. Ici, un cocon épineux s’agite. Au cœur de cet environnement immersif où les rapports anthropomorphiques entre objets et sujets sont chamboulés, nos corps deviennent partie prenante de l’écosystème qui s’y déploie. Jordan met en récit ces relations sensuelles, symbiotiques ou réciproques en explorant l’idée d’une association durable et d’un engagement entre différentes entités. L’artiste imagine un monde où toutes les créatures, incluant les humain⋅e⋅s, seraient symbiotes. À travers la perspective spéculative de la science-fiction et l’approche réaliste du documentaire naturaliste, Intimacy of Strangers / Intimité de l’inconnu aborde la diversité et la fluidité des existences sous l’angle de la communauté et de l’équité interespèce. En déboulonnant les notions établies de nature, de culture et de technologie, l’artiste envisage des avenues possibles pour un vivre-ensemble, un « devenir-avec » sur une planète endommagée.