Jamilah Sabur

Jamaïque / États-Unis

Jamilah Sabur (née à Saint Andrew, Jamaïque ; vit à Miami, États-Unis) s’intéresse à la géologie, à la géographie, à la mémoire et au langage. Elle puise dans ces thèmes pour explorer la nature temporaire du monde, s’attardant aux corps (géologiques, humains, océaniques, etc.) comme points de contact entre le passé, le présent et le futur. Ses œuvres, qui conjuguent performance, photographie, installation et vidéo, sont irriguées par l’histoire coloniale, les enjeux de migration et nos rapports à l’environnement. Ancré dans la notion d’existence, son travail sonde ce qui a disparu de notre champ de vision afin de faire émerger les histoires ensevelies.

Avec l’installation vidéo immersive Un chemin escarpé / A steep path, Sabur nous transporte au cœur des Caraïbes, survolant un terrain de cricket dans les Blue Mountains de la Jamaïque ou explorant les fonds marins de l’océan Atlantique. Dispersés dans l’espace de la galerie selon différentes dispositions au sol et au mur, cinq écrans mettent en scène un récit tentaculaire qui fait écho à la multiplicité des expériences humaines. Les vidéos, présentées selon des élévations multiples, invitent le corps à expérimenter physiquement l’installation, comme s’il se trouvait sur un terrain accidenté. Le titre, qui se réfère au terme géologique « escarpement » et à cette idée de pente abrupte et érodée, annonce un parcours difficile. Sabur y incarne le rôle de l’exploratrice, qu’elle subvertit ici de manière à désamorcer la violence souvent associée à cette figure coloniale. On la voit notamment porter un objet rhomboïde, une forme inspirée du treillis qui surplombait l’entrée de la maison d’enfance de sa mère en Jamaïque. Enracinée dans sa mémoire, la forme devient une extension du corps de l’artiste, un portail symbolique pour entrer en contact avec le monde. Dans les vidéos, Sabur performe des séquences de mouvements variées, dont l’une évoque un son mystérieux qui émane de la mer des Caraïbes tous les 120 jours. Il s’agit du sifflet de Rossby, un phénomène naturel causé par l’oscillation du niveau de la mer et de la pression exercée sur les fonds marins, ne pouvant être mesuré que depuis l’espace. Louvoyant entre la fiction et l’archive, le rêve et le monde matériel, Un chemin escarpé / A steep path expose une chorégraphie introspective qui recadre, de l’intérieur, ces paysages sonores, géologiques et mémoriels.

Avec la série Mnemonic Alphabet, Sabur présente un abécédaire visuel minimaliste combinant des caractères en néon coloré à des images tirées de la nature ou d’activités humaines, jumelés côte à côte sur des panneaux monochromes. Illuminant chacune des œuvres, les mots « karst », « yangrong » et « metéōron » nous laissent perplexes sur la nature de ce qui nous est montré. Ils sont respectivement associés à l’image d’une sculpture de plâtre où apparait un motif rhombique ; à la vue d’une forêt karstique du pays Cockpit, au cœur de la Jamaïque ; et à la photographie d’un vieil appareil destiné à la collecte de micrométéorites. Le karst est une formation topographique résultant de la dissolution de roches sédimentaires telles que le calcaire, la dolomite et le gypse. Le terme mandarin « yangrong » est employé pour décrire les paysages karstiques chinois, et se traduit par « roches dissoutes ». Provenant du grec ancien, le mot « metéōron » signifie quant à lui « haut dans les airs ». Les photographies ne correspondent donc que vaguement au sens des énoncés renvoyés par les enseignes lumineuses, créant des décalages poétiques et des dissonances sémiotiques. Une lettre à la fois, l’artiste explore les limites du langage en pointant l’incapacité des mots et des images de circonscrire entièrement ce qu’ils visent à définir. Comme les strates accumulées dans une saillie rocheuse, ceux-ci contiennent une mémoire et une temporalité, ouvrant la porte à des interprétations changeantes et multiples. Mnemonic Alphabet propose un nouveau langage planétaire où s’articulent des géographies alternatives.